Qui parle encore d’« automobile » ? A part Batman avec sa Batmobile, la partie « mobile » du mot est partie à la casse au siècle dernier. Au mieux on dira « voiture », « bagnole », voire « caisse » ou « tire » si on veut faire jeune version années 80. Aujourd’hui, on roule en S.U.V., 4x4, break, crossover, roadster, berline, pick-up, minibus, cabriolet, Porsche ou Ferrari. Dans ces deux derniers cas, le nom de la marque suffit seul à catégoriser le véhicule, et souvent aussi son conducteur - mais pas forcément avec les mêmes qualificatifs : une machine pétaradant à 3 heures du matin ne force pas l’admiration de tous ceux qu’elle a réveillés, d’autant que la distance parcourue excède à peine les 200 mètres de la rue.
La frime et le matraquage publicitaire n’expliquent pas tout. Si l’automobile n’a plus la côte, ni à l’argus ni dans le vocabulaire, c’est peut-être parce qu’elle est de moins en moins… mobile, et pas seulement dans les bouchons gigantesques des chassés croisés des vacances et des retours de week-end. Les villes aussi sont devenues des pièges où s’insultent sans cesse des conducteurs coincés dans des embouteillages à répétition. Où est la liberté vantée par les spots publicitaires vantant des véhicules roulant sur des routes merveilleusement désertes menant à des endroits idylliques, ou bien s’ébrouant dans des rues idéalement dégagées où elles changent de couleur à volonté devant les sourires enchantés des passants ?
Alors que « mobile » est tombé en désuétude, « mobilité » est devenu follement tendance. On savait déjà que le terme « handicapé » avait été remplacé par l’expression « personne à mobilité réduite », ce qui, paraît-il, présente l’avantage de ne pas dévaloriser les intéressés, mais, qu’on me pardonne, leur fait une belle jambe.
Plus généralement, « mobilité » s’impose comme poncif obligé dès qu’on veut évoquer un déplacement : à l’international, on parle de mobilité entrante (les étrangers qui viennent en France), et de mobilité sortante (les Français qui croisent ces étrangers dans l’autre sens). Dans la vie quotidienne, tout moyen de transport est censé favoriser la mobilité, et les slogans ne manquent pas : « nous optimisons votre mobilité » (au cul des bus), « liberté, sérénité, mobilité » (campagne 2020 pour les bus, tramways et trains), « votre mobilité, notre priorité » (le plus passe-partout, « mobilité » pouvant être remplacé par « votre satisfaction », « votre santé », « votre sérénité », « votre audition » etc. etc.). Il y a même des « challenges de la mobilité », « la semaine européenne de la mobilité » (pour laquelle, on se « mobilise », bien entendu) et même « l’écomobilité » pour qualifier les « déplacements doux et actifs, le covoiturage et tout ce qui peut être économe en énergie ». « Des déplacements doux et actifs » ! La mobilité comme une crème de soins enrichie au collagène de la pub d’à côté.
La mobilité est donc la tarte à la crème du déplacement contemporain et par glissement sémantique, elle s’étend à d’autres secteurs où bouger est présenté comme indispensable: dès le siècle dernier, Alfred Sauvy parlait de « mobilité économique », ce qui formalisait notamment le processus de délocalisation des entreprises hors de nos frontières, et, de ce fait, entraînait la « mobilité de l’immobilier ».
Question : la trottinette est-elle un instrument de mobilité ? Sans aucun doute, mais pourquoi échappe-t-elle à l’honneur du terme « mobilité » pour être classée parmi les EDPM (« engins de déplacement personnel motorisé »), cet horrible acronyme concernant aussi les gyroroues et hoverboard ? Pourtant, qui parle d’EDPM ? On a loupé l’occasion de faire un cadeau supplémentaire à la mobilité. La trottinette est pourtant le nec plus ultra de la mobilité dite urbaine. Il y a là une injustice, voire une discrimination dont il faudra parler à Anne Hidalgo.
Quant à l’automobiliste, terme qui, lui, n’a pas subi le sort malheureux qui a envoyé « mobile » aux oubliettes, il a tout loisir de méditer sur cet axiome, valable aussi bien dans les bouchons que dans les gares et les aéroports : plus on parle de mobilité, moins on arrive à avancer.