« Passez une très belle soirée. »
Quelle est cette soirée que l’on nous souhaite très belle ? Elle clôture une fête carillonnée, un événement digne d’être célébré – victoire en coupe du monde de l’équipe de France ; découverte du vaccin contre la connerie ; vote à l’unanimité de la suppression des impôts ; résurrection de Johnny Hallyday ; fin de la grève des transports ?
Non, c’est une soirée banale, même pas une veille de week-end, une soirée qui suit un jour d’une platitude à crever, et peut-être même une journée de merde : vous vous êtes levé tout pâteux après une nuit d’insomnie ; vous avez été bloqué dans les bouchons ; vous vous êtes engueulé avec vos collègues ; vous avez dû patienter une heure et demie pour être reçu (et pourtant vous aviez rendez-vous) ; vous avez dû manger vite fait au Mc Do ; vous avez des aigreurs d’estomac – forcément - ; votre connard de voisin s’est encore garé sur votre place de parking ; votre ado s’est fait voler son I phone – mais il a trouvé le moyen d’en trouver un autre pour vous avertir – et vous déranger au moment de l’engueulade (voir plus haut), etc. etc.
Il n’en sait rien, le gars du J.T. de 20 heures. Tout sourire, il vous souhaite de « passer une très belle soirée ». Alors que l’ado n’est toujours pas rentré et qu’il y avait une lettre des Finances Publiques dans la boite aux lettres.
Comme naguère, il aurait pu se contenter d’un « bonne soirée », ça aurait été plus anodin et vous n’y auriez même pas fait attention. Mais non, la soirée doit être « belle », même « très » belle - tant qu’on y est allons-y à fond - et en plus il va falloir la « passer », ce qui risque de prendre un bon moment, non ! pas un « bon » moment, ni un « beau » moment : un mauvais moment.
D’ailleurs même à imaginer que votre journée ait été nirvanesque, comment ce gars-là ose-t-il vous souhaiter une « très belle soirée » alors qu’il vient de vous jeter à la figure toutes les horreurs de l’actualité ? Tout cela serait-il à oublier dès le générique de fin, pour que vous puissiez tomber dans la béatitude d’une « très belle soirée » ?
En plus, pour vous aider à la passer très belle, on vous annonce quelque chose d’exceptionnel. Emission exceptionnelle et peut-être même invités exceptionnels, et peu importe si c’est exceptionnel tous les soirs, l’exception devenant la règle, n’ayons pas peur de l’antinomie, ou plutôt de l’arnaque car il n’y a rien d’exceptionnel à voir toujours les mêmes têtes et les mêmes « formats » de programme pré mâchés.
Vous regrettez le « bonne soirée » passe-partout, à formuler avec la même indifférence que « bonjour » et « bonsoir » ? Vous avez sans doute raison. En passant de « bonne » à « très belle », on donne l’illusion d’être arrivé à un degré supérieur du souhait empathique. Sauf qu’on a confondu empathique et emphatique, et que ça n’aide en rien à exorciser les diables qui contrarient votre quotidien du matin au soir.
Et si on revenait à « bonne soirée » ? Ça permettrait de s’en tenir à une insignifiance moins prometteuse et donc plus rassurante. « Bon » est moins racoleur que « beau ». En plus, tout est bon dans le cochon. Mais non, on préfère « belle » à « bonne », et ce faisant, on passe du cochon à Claudia Schiffer. Ça a une autre gueule, mais il n’est pas sûr qu’on gagne au change.